Sur la mort du père
8 novembre, quinze heures.
............................................................
Ce n’est pas mon premier enterrement;
mais, celui ci,
C’est le quatrième cette année.
(deux hommes et deux femmes ).
Aujourd’hui, c’est une femme.
Morte avant-hier.
Pour elle, les cloches ont sonné
Trois fois dans la journeé.
C’est l’avantage d’habiter dans un village :
Personne, jamais n’oublie de sonner
Le mort, sauf à Pâques :
Puisqu’alors, la douleur chrétienne
Rend les clochers muets.
Je la connaissais.
Elle habitait
Dans la rue où je suis né.
Son mari, c’est le menuisier
Qui était copain avec mon père.
Aujourd’hui,
Il a une jambe en plastique
Et une hanche en céramique...
..........................
Mon père, lui est mort depuis vingt et un ans.
Son enterrement a été le plus triste
De ma déjà longue vie.
Jamais plus, il n’y en aura de pareil :
Le drapeau tricolore, l’encens,
Et le grégorien en bas latin.
Et puis, la douleur.
La douleur sans l’espoir.
Je n’ai pas la foi.
Je ne crois pas aux jours meilleurs
Ni aux joies futures dans la Maison du Père.
Pour mon père, il me reste
Le granit d’une tombe.
...................
Souvent je passe le voir;
Je redresse les fleurs, je déplace
Les plaques pour que la pluie lave les saletés
Que le vent apporte;
Je lui parle et lui dit tout.
.............................
Si j’attends la mort pour le retrouver
Je ne le trouverai jamais.
C’est grand le ciel.
J’aime mieux
Mes visites à sa tombe.
Je ne dis pas qu’il me parle,
Je ne crois pas à ça, même,
Mais j’y vais souvent.
C’est pour ça que j’habite au village;
Je n’ai que quelques minutes à pied
Pour aller au cimetière,
C’est bien.
...........................................
Dehors
On avait laissé le corbillard sous la pluie.
Je suis sorti dans les premiers,
J’ai porté le drap mauve
Sur le plateau noir. J’ai retourné
Le corbillard dans le sens de la marche,
Mis le frein,
Et poussé les deux petits loquets argentés
Pour basculer le portillon en bout de plateau.
Après, j’ai attendu la morte.
Le cercueil était baroque :
En chêne clair avec des poignées
Qui ne brillaient plus, des corniches
Et des retours dorés.
Je savais que le menuisier en avait gardé
Quelques-uns du temps où il travaillait
Encore.
Après celui-ci, il n’y a plus
que le sien;
Il faudra s’en souvenir.
..........................................
J’écris aujourd’hui sur des prospectus.
Une publicité pour la fête de la forêt de B.
C’est toujours novembre.
Je pense à mon père.
Toujours en bleu
Et en sabots. Le pantalon de velours
Et le béret basque usé et gris.
Au printemps on semait l’orge.
Il portait un sac de jute en double
Sur le dos et le devant du corps,
Et sa main droite alla it et venait
De gauche à droite en arrondissant
Le geste. C’était son geste.
Pour l’engrais, c’était le même geste;
Mais là, il puisait dans un récipient
Semi-circulaire en fer-blanc
Qui reposait sur son ventre
Et qui lui donnait
Une démarche de femme enceinte.
..........................................
Je crois bien qu’une des bretelles
Etait remplacée par une ficelle de lieuse.
Il disait toujours "ficelle de lieuse".
Comme je n’avais jamais vu de lieuse,
C’était pour moi une machine mythique
L’ancêtre des ancêtres,
Du temps d’avant la moissonneuse-batteuse,
Avant la presse, avant les chevaux.
C’était ce qui restait de son passé à lui;
Avant.
Loin, trop loin pour nous dans son passé,
Avant la guerre dont il ne parlait jamais,
Avant les années en Allemagne
Qu’il évoquait parfois .
Il n’aimait pas ce passé là;
Ou alors il en parlait à d’autres,
Quand nous n’étions pas là,
Ce qui revenait souvent.
..........................................
C’est drôle, tout revient.
C’est vrai que mon père est mort
Quand j’avais vingt ans. J’ai eu de la chance.
Mon petit frère en a moins profité
Il est devenu adulte plus vite.
On commençait seulement à se parler,
Lui à soixante-cinq ans,
Moi dans ma vingtaine.
Avoir vingt ans à la campagne
Après des années de pension,
C’est pas forcément
Ce qui ouvre le plus l’esprit...
Puis il est mort,
Et j’ai toujours trouvé ça
Dégueulasse.
J’étais au service quand il est mort.
Quelques jours avant (quelques semaines ?)
J’étais allé le voir à l’hôpital.
Il n’était que souffrance
Et dans sa chambre, sa dernière cellule,
Il y avait une plante avec des feuilles vertes
Et des fleurs rouges.
............................................
Le même jour, ma cousine A.
Etait venue le voir.
Elle n’avait pas pu rester avec lui.
Quand je suis arrivé,
Elle pleurait dans le couloir.
Elle savait qu’il était déjà mort.
Elle savait qu’il suivait la même route
Que sa mère, ma tante Louise;
Elle savait que ses joues creuses,
Ses yeux devenus transparents
A force de souffrir,
Son corps meurtri d’escarres, c’était la mort.
Elle le savait et elle pleurait.
Nous, nous avions encore l’espoir.
Ma mère, avait sa foi en plus.
Et puis il est mort ...
.............................
Ils l’ont ramené à Meurcourt.
Il est resté quelques jours, en bas,
Sur le divan de la salle à manger
Avant la fin.
Le reste, je l’ai su plus tard.
A la caserne, j’ai eu un coup de fil;
Nicole, la mère de M., m’a prévenu.
J’ai pleuré.
Puis, je l’ai dit à quelqu’un avec des sardines
Sur l’épaule.
On m’a accordé une permission
Et je suis revenu à Meurcourt.
...........................
La maison était un océan de tristesse.
Heureusement, il y avait maman;
Maman et sa foi, Maman et nous
Qui l’avons entouré. Il le fallait,
Il fallait consolider les fissures,
Redonner à la mère toute la force
Qu’elle avait insufflée avant et pendant.
Alors on a fait front et on est revenus.
Depuis, tous les garçons sont au village,
Les filles sont en route;
Deux déjà ont retrouvé le chemin.
.......................................
Papa est mort depuis vingt-et-un ans
Et c’est toujours aussi dur,
Mais, on n’y peut rien.
Même la foi ne ramène pas les morts.
Il faudra trouver autre chose
Assister d’autres dans la peine,
Aller à d’autres enterrements,
Pleurer encore et prendre sa place
Dans la file, verser l’obole
Et tracer la croix une nouvelle fois..
....................................
à mon père, à ma mère.
sul.