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22 octobre 2010 5 22 /10 /octobre /2010 23:29

 Sur la mort du père

8 novembre, quinze heures.

............................................................
Ce n’est pas mon premier enterrement;
mais, celui ci,

C’est le quatrième cette année.
(deux hommes et deux femmes ).
Aujourd’hui, c’est une femme.
Morte avant-hier.
Pour elle, les cloches ont sonné
Trois fois dans la journeé.
C’est l’avantage d’habiter dans un village :
Personne, jamais n’oublie de sonner
Le mort, sauf à Pâques :
Puisqu’alors, la douleur chrétienne
Rend les clochers muets.

Je la connaissais.
Elle habitait
Dans la rue où je suis né.
Son mari, c’est le menuisier
Qui était copain avec mon père.
Aujourd’hui,
Il a une jambe en plastique

Et une hanche en céramique...
..........................

Mon père, lui est mort depuis vingt et un ans.

Son enterrement a été le plus triste

De ma déjà longue vie.

Jamais plus, il n’y en aura de pareil :

Le drapeau tricolore, l’encens,

Et le grégorien en bas latin.

Et puis, la douleur.

La douleur sans l’espoir.

 Je n’ai pas la foi.

Je ne crois pas aux jours meilleurs

Ni aux joies futures dans la Maison du Père.

Pour mon père, il me reste

Le granit d’une tombe.
...................

Souvent je passe le voir;

Je redresse les fleurs, je déplace

Les plaques pour que la pluie lave les saletés

Que le vent apporte;

Je lui parle et lui dit tout.
............................. 

  Si j’attends la mort pour le retrouver

Je ne le trouverai jamais.

C’est grand le ciel.

J’aime mieux

Mes visites à sa tombe.

  Je ne dis pas qu’il me parle,

Je ne crois pas à ça, même,

Mais j’y vais souvent.

C’est pour ça que j’habite au village;

Je n’ai que quelques minutes à pied

Pour aller au cimetière,
C’est bien.
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Dehors

On avait laissé le corbillard sous la pluie.

Je suis sorti dans les premiers,

J’ai porté le drap mauve

Sur le plateau noir. J’ai retourné

Le corbillard dans le sens de la marche,

Mis le frein,

Et poussé les deux petits loquets argentés

Pour basculer le portillon en bout de plateau.

Après, j’ai attendu la morte.

  Le cercueil était baroque :

En chêne clair avec des poignées

Qui ne brillaient plus, des corniches

Et des retours dorés.

Je savais que le menuisier en avait gardé

Quelques-uns du temps où il travaillait

Encore.

Après celui-ci, il n’y a plus
que le sien;

Il faudra s’en souvenir.
..........................................

J’écris aujourd’hui sur des prospectus.

Une publicité pour la fête de la forêt de B.

C’est toujours novembre.

Je pense à mon père.

Toujours en bleu

Et en sabots. Le pantalon de velours

Et le béret basque usé et gris.

Au printemps on semait l’orge.

Il portait un sac de jute en double

Sur le dos et le devant du corps,

Et sa main droite alla it et venait

De gauche à droite en arrondissant

Le geste. C’était son geste.

Pour l’engrais, c’était le même geste;

Mais là, il puisait dans un récipient

Semi-circulaire en fer-blanc

Qui reposait sur son ventre

Et qui lui donnait

Une démarche de femme enceinte.
..........................................

Je crois bien qu’une des bretelles

Etait remplacée par une ficelle de lieuse.

Il disait toujours "ficelle de lieuse".

Comme je n’avais jamais vu de lieuse,

C’était pour moi une machine mythique

L’ancêtre des ancêtres,

Du temps d’avant la moissonneuse-batteuse,

Avant la presse, avant les chevaux.

C’était ce qui restait de son passé à lui;

Avant.

Loin, trop loin pour nous dans son passé,

Avant la guerre dont il ne parlait jamais,

Avant les années en Allemagne

Qu’il évoquait parfois .

Il n’aimait pas ce passé là;

Ou alors il en parlait à d’autres,

Quand nous n’étions pas là,

Ce qui revenait souvent.

..........................................
C’est drôle, tout revient.

C’est vrai que mon père est mort

Quand j’avais vingt ans. J’ai eu de la chance.

Mon petit frère en a moins profité

Il est devenu adulte plus vite.

On commençait seulement à se parler,

Lui à soixante-cinq ans,

Moi dans ma vingtaine.

Avoir vingt ans à la campagne

Après des années de pension,

C’est pas forcément

Ce qui ouvre le plus l’esprit...

Puis il est mort,

Et j’ai toujours trouvé ça

Dégueulasse.

J’étais au service quand il est mort.

Quelques jours avant (quelques semaines ?)

J’étais allé le voir à l’hôpital.

Il n’était que souffrance

Et dans sa chambre, sa dernière cellule,

Il y avait une plante avec des feuilles vertes

Et des fleurs rouges.
............................................

Le même jour, ma cousine A.

Etait venue le voir.
Elle n’avait pas pu rester avec lui.

Quand je suis arrivé,

Elle pleurait dans le couloir.

Elle savait qu’il était déjà mort.

Elle savait qu’il suivait la même route

Que sa mère, ma tante Louise;

Elle savait que ses joues creuses,

Ses yeux devenus transparents

A force de souffrir,

Son corps meurtri d’escarres, c’était la mort.

Elle le savait et elle pleurait.

Nous, nous avions encore l’espoir.

Ma mère, avait sa foi en plus.

Et puis il est mort ...
.............................

Ils l’ont ramené à Meurcourt.

Il est resté quelques jours, en bas,

Sur le divan de la salle à manger

Avant la fin.

Le reste, je l’ai su plus tard.

A la caserne, j’ai eu un coup de fil;

Nicole, la mère de M., m’a prévenu.

J’ai pleuré.

Puis, je l’ai dit à quelqu’un avec des sardines

Sur l’épaule.

On m’a accordé une permission

Et je suis revenu à Meurcourt.
...........................
La maison était un océan de tristesse.

Heureusement, il y avait maman;

Maman et sa foi, Maman et nous

Qui l’avons entouré. Il le fallait,

Il fallait consolider les fissures,

Redonner à la mère toute la force

Qu’elle avait insufflée avant et pendant.

 Alors on a fait front et on est revenus.

Depuis, tous les garçons sont au village,

Les filles sont en route;

Deux déjà ont retrouvé le chemin.

 .......................................
Papa est mort depuis vingt-et-un ans

Et c’est toujours aussi dur,

Mais, on n’y peut rien.

Même la foi ne ramène pas les morts.  

Il faudra trouver autre chose

Assister d’autres dans la peine,

Aller à d’autres enterrements,

Pleurer encore et prendre sa place

Dans la file, verser l’obole

Et tracer la croix une nouvelle fois..

....................................

à mon père, à ma mère.

sul. 

 

 

 

 

 



 

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